vendredi 31 juillet 2009

Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures : langue, nombre, code, Gallimard, 2007

Ce livre décrit la naissance de l'écriture au moyen-orient voici cinq millénaires, puis celle plus récente de la numération (ici rattachée à la création de la monnaie), enfin celle proche de nous du codage informatique. Chacune de ces innovations est présentée sur sa toile de fond symbolique - c'est-à-dire métaphysique, religieuse et liturgique bien avant d'être politique ou économique.

La lecture de ce livre n'est pas facile. Mais il possède une qualité rare qui fait de lui une exception : il se situe exactement au bon niveau de profondeur, à celui qui permettra au lecteur sérieux de méditer les phénomènes qu'il évoque et notamment, pour ce qui concerne la période actuelle, de prendre conscience de ce qu'implique l'informatisation.
J'ai beaucoup aimé les passages consacrés aux implications anthropologiques du mode d'écriture (idéographique, consonantique etc.), à l'articulation des divers rôles conférés à l'écriture (liturgie, gestion, commerce etc.), aux relations enfin entre le mode d'écriture et le mode de pensée, ce dernier déterminant le rapport avec les choses et avec les Dieux.

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Quand on aborde un phénomène sous l'angle des symboles, que l'on considère les associations d'idées et de pratiques que le symbole rassemble comme un nœud de significations, il faut recourir au style allusif qui seul permet d'éveiller dans l'esprit du lecteur l'image de ce nœud. On s'expose alors évidemment à des reproches de la part de ceux qui préfèrent raisonner par déduction à partir de définitions bien choisies.

Ainsi la façon dont l'auteur considère la monnaie sera sans doute discutée par des économistes, mais qu'ils prennent garde : leurs arguments seront sans portée s'ils ne se situent pas au même niveau de profondeur que l'auteur. En particulier ce que celui-ci dit sur le renoncement à l'étalon or en 1971 mérite une discussion sérieuse, et non le haussement d'épaules habituel aux experts désinvoltes...

Dans la partie consacrée à l'informatique certaines choses sont présentées autrement que je ne le fais : ainsi je donne au mot "information" un sens proche de l'étymologie et qui diffère de celui que retient l'auteur (voir Restaurer le mot "informatique"). Mais je ne conteste pas son choix : ce terme étant polysémique, on a le droit de retenir l'interprétation que l'on préfère pourvu qu'elle serve le raisonnement.


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Présenter l'informatique dans la foulée de l'invention de l'écriture, de la monnaie et du nombre, et en lui conférant une portée anthropologique d'ampleur comparable, invite à porter la réflexion au niveau de profondeur (ou si l'on veut de hauteur) qui convient pour rendre compte du phénomène puis pour le maîtriser. Ce qui est recherché ici, et atteint, ce n'est pas l'impossible exhaustivité mais l'orientation de la réflexion dans la direction qui pourra être la plus féconde pour la pensée, la plus opératoire pour l'action.

2 commentaires:

  1. Tant de temps que ce livre reste sur le coin d'une de mes étagères sans que je ne prenne le temps de le lire.
    Cet article me donne le petit coup de pouce pour que je commence la lecture.
    Merci.

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  2. Merci pour la presentation de ce super livre

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