vendredi 9 octobre 2009

Les effets de la concurrence

Nota Bene : Ce texte fait suite à "Les télécoms sont-elles un monopole naturel ?".

Certains affirment que la concurrence est, pour tout secteur de l’économie, le seul régime efficace. Cette croyance étant pour eux un dogme, ils en oublient que le seul but légitime de l’économie est la satisfaction du consommateur.

Si l’efficacité de la concurrence est effectivement démontrée au début d’un cours d’économie, cette démonstration suppose des conditions que l’économie réelle ne respecte pas souvent : les développements les plus féconds de la théorie explorent les situations de concurrence imparfaite (monopole, concurrence monopoliste, régulation etc. : voir par exemple Jean Tirole, Théorie de l'organisation industrielle, Economica, 1993).

Mais sans doute beaucoup de personnes ne gardent en mémoire que le début du cours... S'appuyant en outre sur un passage d'Adam Smith qu’elles interprètent à contre sens (la fameuse main invisible), elles pensent que la recherche exclusive du profit est la condition du bien-être collectif : c’est leur deuxième dogme.

Ces deux dogmes servent d'argument à une politique qui, sous prétexte d'efficacité, s'applique à démanteler les services publics. Il s'agit aussi sans doute de liquider des institutions dont les syndicats, les corporations professionnelles avaient fait il est vrai des forteresses.

Certains, au passage, tireront quelque profit de ce dépeçage. L'ignorance, la naïveté, le calcul politique, l'avidité se conjuguent ainsi pour que l'on détruise une part du capital des nations.

Mais seule importe la question suivante : la privatisation, la concurrence, sont-elles ou non en définitive bénéfiques pour le consommateur ? La réponse doit se fonder sur un examen de la nature du secteur considéré.

Dans le cas des télécoms le culte de la concurrence conduit à un découpage : à terme, le cœur du réseau (commutateurs, routeurs, liaisons à longue distance) serait exploité par un ou plusieurs opérateurs, la boucle locale serait construite et gérée par une foule d’entreprises locales ou de collectivités territoriales, les services enfin seraient commercialisés par d’autres entreprises qui paieraient des redevances aux exploitants du réseau : un schéma analogue s’applique aux chemins de fer, à l’électricité, à la Poste.

Mais que deviendra le consommateur ? Comment se retrouvera-t-il dans un catalogue de services, avec leurs tarifs et contrats incompréhensibles ? Comment assurera-t-il la cohérence de son installation ? Ne verra-t-il pas, en cas de panne, ces entreprises se « refiler le bébé » de l’une à l’autre ?

Ces entreprises, mises en concurrence et toutes poussées par la recherche du profit, se comporteront-elles en partenaires loyaux, ou consacreront-elles leur énergie à se disputer, à se battre entre elles ?

Nous voudrions la réponse à ces questions-là, et à quelques autres du même genre. Mais on nous dit « avec la privatisation et la concurrence tout ira bien ». Pour les avocats et les financiers, oui, il est sûr que tout ira bien.

Pour lire la suite, cliquer sur France Telecom et la divestiture.

3 commentaires:

  1. France Telecom remplit deux missions de natures différentes :
    1° la gestion d'un réseau de télécommunications,
    2° la fourniture de produits et services utilisant ce réseau.

    La politique de l'Etat en matière de gestion de ces réseaux est moins que claire. Pour des raisons de service de la dette de la SNCF, on a séparé le réseau dans une société ad hoc, RFF, mais les cheminots qui entretiennent le réseau font toujours partie de la SNCF. Pour l'électricité, il a également été créé une société de gestion du réseau, RTE, mais elle reste filiale d'EDF. Le réseau gazier a été privatisé dans la fusion de GDF avec Suez. Les sociétés d'autoroute ont été vendues (bradées ?). Pour la Poste, la notion de réseau est plus difficile à distinguer, mais la nécessité d'une mission de service public semble évidente pour les campagnes et les territoires peu peuplés et d'accès difficile.

    Les infrastructures ne relèvent pas par nature de la compétence des sociétés privées. L'importance pour l'aménagement du territoire, la durée des investissements et les incertitudes font que l'Etat doit se charger de ces réseaux. De plus, la mise en concurrence va doublonner les réseaux sans intérêt économique pour l'usager.

    Je regrette que le réseau de télécommunications n'ait pas été séparé d'une société commerciale dans le cas de France Telecom. La concurrence n'aurait pas été faussée, les fonctionnaires auraient pu rester dans une entreprise publique et l'infrastructure y aurait globalement gagné en efficacité.

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  2. Bonjour,

    j'aimerais comprendre la série d'articles que vous consacrez à France Telecom, dans celui-ci votre remarque sur le passage d'Adam Smith me fait comprendre que j'ai sans doutes mal compris les quelques cours d'économie que j'ai reçus. Pouvez-vous expliciter le contre sens ?

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  3. @Anonyme
    Dans beaucoup de cours d'économie, on réduit la pensée d'Adam Smith à la "main invisible" qu'il évoque au chapitre 2 du livre IV de La richesse des nations.
    C'est là mutiler cruellement une pensée très riche.
    Je vous invite à la découvrir en lisant attentivement et en entier La richesse des nations, cela vaut la peine.
    Pour un bref aperçu, vous pouvez lire les pages 107 à 111 de Prédation et prédateurs (le livre est téléchargeable gratuitement en cliquant sur ce lien).

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