vendredi 23 août 2013

Tout ne va pas si bien que ça en Allemagne

Le premier de la classe est toujours détesté lorsqu'il s'enorgueillit des éloges des professeurs et se montre condescendant envers les autres élèves, qui le qualifient alors de fayot et de lèche-cul. Pour pouvoir être estimé il faut qu'il n'accorde aucune importance aux bonnes notes, qu'il soit bienveillant envers ses camarades et sache les aider à l'occasion.

L'hostilité envers l'Allemagne, si répandue, s'explique par ce phénomène. Notre presse y contribue en renforçant l'image d'un pays qui réussit (erfolgreich), où tout le monde est sérieux (ernst), honnête (ehrlich), travailleur (fleissig) et où des entreprises efficaces (wirksam) ne fabriquent que des produits fiables (zuverlässig)...

Mais il nous est impossible, à nous autres Français, d'éprouver de la tendresse pour un pays qui n'a aucun défaut. Pour que l'Allemagne nous semble aimable il faut qu'elle connaisse elle aussi la maladresse, la malhonnêteté, le manque de sérieux...

Or c'est le cas ! Pour s'en convaincre, il suffit de lire par exemple Der Spiegel. Certes les journalistes parlent plus volontiers de ce qui va mal que de ce qui va bien, mais on fait en les lisant une récolte impressionnante : certaines entreprises allemandes ne sont pas wirksam, leurs succès à l'exportation s'expliquent autant par la corruption (Bestechung) que par la Zuverlässigkeit de leurs produits, des personnalités éminentes n'ont dû leur titre de Doktor qu'au plagiat, nombre de leurs banques tournent le dos au bien commun...

Ainsi les Allemands ne sont pas des surhommes (Übermensch) comme nous semblons le penser et comme ils sont parfois tentés de le croire, mais des êtres humains aussi imparfaits que nous pouvons l'être et avec lesquels il nous est donc possible d'avoir des rapports chaleureux et cordiaux. Prosit !

*     *

Fiabilité (Zuverlässigkeit)

L'Eurofighter, le rival européen du Rafale, est un « oiseau de malheur1 ». Dans l'usine de Manching en Bavière le contrôle de la qualité est si défaillant que la Bundeswehr a dû corriger plusieurs défauts sur les avions qu'elle avait reçus : erreurs dans le logiciel, dans le montage, fuite des réservoirs, ouverture accidentelle de la verrière, imprécision de l'altimètre... La Bundeswehr a retiré son habilitation à cette usine mais elle continue à réceptionner les avions, ce qui lui fait courir un grave risque juridique en cas d'accident.

Siemens rencontre aussi des problèmes de qualité : dans un parc de plus de cent éoliennes en Californie une pale de 50 m de long pesant 11 tonnes s'est détachée en mai 2013 et elle est tombée sur une route. Personne n'a été blessé mais Siemens a dû mettre à l'arrêt toutes ses installations analogues pour chercher la cause de l'accident2. Toujours chez Siemens, la livraison de seize trains à haute vitesse ICE à la Bundesbahn prend du retard en raison de problèmes de logiciel et de conformité3.

Efficacité (Wirksamkeit)

En mars 2011, peu après l'accident de Fukushima, les Allemands ont décidé de renoncer à l'énergie nucléaire : ils misent sur l'éolien. Les défenseurs de la nature s'opposent cependant à l'implantation des éoliennes (les pales tuent des oiseaux) ainsi qu'à celle des lignes à haute tension nécessaires pour transporter l'énergie depuis la mer du Nord jusqu'aux usines situées au sud du pays. Beaucoup des éoliennes installées tournent à vide ou sont à l'arrêt.

Le drone Euro Hawk est une catastrophe pour la Bundeswehr : après avoir coûté un demi milliard d'euros le projet a dû être arrêté parce qu'il s'est révélé finalement impossible d'obtenir les autorisations de vol dans l'espace aérien allemand4.

Siemens se trouve en difficulté : ayant abandonné la fabrication de produits grand public, l'entreprise dépend des commandes des grandes institutions, plus aléatoires, et la lutte contre la corruption (voir ci-dessous) l'a privée d'un argument commercial essentiel. En outre la bataille pour les fonctions de direction fait rage au sommet5.

Honnêteté (Ehrlichkeit)

La HSH Nordbank de Hamburg a fait introduire par des hommes de main des images pédopornographiques dans l'ordinateur de Roland K., son directeur à New York dont elle voulait se débarrasser sans verser d'indemnité6. Les enquêteurs américains on vu que c'était un coup monté : la banque a dû s'excuser auprès de Roland K. puis le dédommager7.

La Deutsche Bank8 a été la cible d'une descente de police musclée en décembre 2012 : elle est accusée de fraude fiscale, blanchiment et entrave à la justice. Elle a participé à la manipulation du Libor, elle est soupçonnée d'avoir truqué son bilan, de s'être enrichie en trompant ses clients et en aidant des délinquants9. Le Sénat des Etats-Unis l'accuse d'avoir joué, avec Goldman Sachs, un rôle clé dans la crise financière en émettant une masse de titres toxiques : on dénombre plusieurs autres banques parmi ses victimes.

Corruption (Bestechung)

La vente de 15 Eurofighters à l'Autriche pour un montant de 4 milliards d'Euros se serait accompagnée d'un « graissage de pattes » (Schmiergeld) de 50 millions d'Euros10 : l'instruction est en cours.

Ferrostaal, filiale de MAN, a utilisé l'arme de la corruption pour vendre des sous-marins, des camions, des autobus et des machines au Venezuela, en Grèce, en Croatie etc11.

Siemens avait monté depuis des décennies un système de corruption parfaitement efficace, mais qui est devenu illégal à partir de 1998. Des poursuites ont été engagées contre l'entreprise en 200612.

Usurpation du titre de Doktor

Le titre de Doktor, si respecté en Allemagne, peut s'acheter13 : des intermédiaires proposent de faciliter la soutenance d'une « thèse » à Chypre, en Slovaquie, en Pologne etc., ou mieux encore en Allemagne. Dans ce cas un maître de thèse complaisant est trouvé, un bon spécialiste est rémunéré (10 000 Euros) pour la rédiger et pour plus de sûreté elle est soumise à un logiciel détecteur de plagiats.

C'est ce qui a manqué a plusieurs personnalités à qui le titre de Doktor a été retiré : Karl-Theodor zu Guttenberg, ministre de la défense et espoir de la politique allemande dont la carrière semble désormais ruinée ; Annette Schavan, ministre de la culture ; Silvana Koch-Mehrin, député européen.

*     *

La liste ci-dessus est incomplète : nous pourrions parler aussi de la dégradation des infrastructures, des difficultés que rencontrent le métro de Berlin et la Bundesbahn, du projet de gare à Stuttgart (« Stuttgart 21 »), de l'aéroport de Berlin, de la qualité de l'enseignement, de l'écart grandissant dans la répartition des revenus et de la richesse, de l'état des banques des Länder, de celui du groupe Thyssen-Krupp, etc.

Mais ne nous laissons pas aller à la Schadenfreude (intraduisible en français, ce mot désigne le plaisir que procure le malheur d'autrui) : il se peut que le parquet allemand (Staatsanwaltschaft) soit plus indépendant que le nôtre, et que ce soit cela qui nous permette de connaître ce qui va mal en Allemagne.
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1 « Der Unglücksvogel », Der Spiegel, 8 juillet 2013.
2 « Geborstener Flügel in USA: Windradpanne kostet Siemens Millionen », Spiegel On-Line, 25 juillet 2013
3 « Hausgemachte Blamagen », Der Spiegel, 29 avril 2013.
4 « Im Blindflug », Der Spiegel, 18 mai 2013.
5 « Peter und die Wölfe », Der Spiegel, 5 août 2013.
6 « Razzia in New York », Der Spiegel, 19 septembre 2011.
7 « Ich war wie gelähmt », Der Spiegel, 21 mars 2011.
8 « USA against Deutsche Bank », Der Spiegel, 30 janvier 2012..
9 « Odins Hammer », Der Spiegel, 17 décembre 2012.
10 « Die Spur des Geldes », Der Spiegel, 19 novembre 2012.
11 « Das Aufweich-Kommando », Der Spiegel, 2 avril 2012.
12 « Peter und die Wölfe », Der Spiegel, 5 août 2013.
13 « Die Doktormacher », Der Spiegel, 21 mars 2011.

2 commentaires:

  1. Je connais quelques uns des exemples, mais pas tous, il y en a beaucoup... C'est assez amusant de rire des malheurs de son voisin. Bon allez, alles gut!

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  2. Et on se rejouira toujours des malheurs du voisin ...
    On verra aussi souvent la paille dans l'oeil du voisin.

    ♦ Juger de l'efficacité sur quelques cas ne permet pas de le généraliser au pays tout entier.

    Le vol inaugural d'Ariane5 s'est soldé par un échec.
    A l'époque les concepteurs/ingénieurs étaient si confiants que tous les tests n'avaient pas besoin d'être menés selon eux.
    Pourtant, d'autres lancements réussis ont suivi.

    ♦ Qui a dit que les Allemands étaient plus honnêtes ?
    Ils sont plus disciplinés probablement, peut-être parfois plus 'loyaux' vis-à-vis de l'entreprise qui les emploie.

    Mais cette qualité individuelle n'a que peu à voir avec les exigences des affaires ou du commerce. Il faut être naïf pour croire que les contrats se remportent loyalement, sur des critères vraiment objectifs quelle qu'en soit la taille.


    L'Allemagne réussit avant tout car elle se donne les moyens de réussir. Elle entretient et développe les avantages qu'elle a.
    Ce n'est sans doute pas le modèle parfait et les problèmes y sont nombreux, mais il est toujours utile de comprendre les raisons de la réussite des autres.

    Enfin, je comprends votre réaction davantage liée à l'aveuglement, l'ignorance ou encore la manipulation des médias.
    Cette tendance à ériger l'Allemagne en modèle absolu n'est qu'un parmi bien d'autres de leurs excès.

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