mercredi 23 juillet 2014

De la filière au processus

(Ce texte est une réaction à la note « A quoi servent les filières » publiée par la Fabrique de l'Industrie).

Le concept de « filière » occupe une place intermédiaire entre celui de fraction d'entreprise et celui de branche d'activité : il vise à représenter l'enchaînement des activités qui, de l'extraction des matières premières jusqu'à la finition d'un produit, concourent à l'élaboration de celui-ci en traversant éventuellement plusieurs entreprises (dans ce cas on considère, outre la succession technique des activités élémentaires, les relations contractuelles qui définissent le partage des coûts, recettes et responsabilités).

On peut représenter une filière selon un graphe orienté : les nœuds initiaux sont la production des matières premières, les nœuds finals représentent des produits. Une telle représentation est formellement analogue à celle que l'on utilise, dans une entreprise, pour modéliser un processus de production.

Historiquement le recours à la filière pour définir la politique industrielle a résulté du constat de l'inadéquation des agrégats de la macroéconomie, trop globaux, comme du concept de branche d'activité, trop peu explicatif. Le secret de l'efficacité résidait, pensait-on, dans l'articulation judicieuse des fractions d'entreprise en filières. On a ainsi parlé des filières du nucléaire, de l'aéronautique, de l'énergie, du bois etc.

Cependant les modèles économétriques qu'ont utilisés le Plan et le Trésor relevaient de la macroéconomie, dont le grain est trop grossier pour faire apparaître des filières. Le ministère de l'Industrie, organisé selon les branches d'activité, a utilisé le formalisme des filières pour instruire des décisions qu'il proposait mais la plupart de ses directions étaient peu écoutées et le Trésor avait généralement le dernier mot.

Le concept de filière a donc eu un succès inégal. Est-il nécessaire aujourd'hui ?

Dans les entreprises la modélisation des systèmes d'information et l'organisation de la production s'appuient sur le concept de processus, formellement proche de celui de filière mais, contrairement à lui, effectivement opérationnel. Un même processus peut traverser plusieurs entreprises organisées en un réseau de partenaires.

On est là dans la pratique et sur le terrain. Des méthodes existent pour modéliser et mettre en place un processus de production, assurer sa supervision, obtenir la cohésion des biens et services dont l'assemblage constitue le produit, bâtir l'ingénierie du partenariat et son interopérabilité opérationnelle : un système d'information sert de pivot à cette cohésion et à cette interopérabilité.

Le concept de processus apparaît ainsi comme un avatar intéressant de celui de filière. Mais comme il reste confiné dans les contours d'une entreprise ou d'un réseau d'entreprises il ne convient ni pour modéliser une branche, ni pour instruire des décisions de politique industrielle portant sur elle. Il est cependant pertinent pour une tout autre raison.

L'économie passe en effet maintenant par une transition comparable à celle du début du XIXe siècle : elle était alors transformée par la mécanisation, elle l'est aujourd'hui par l'informatisation. Pour la politique industrielle, l'urgence réside donc dans l'adaptation du système productif au système technique issu de la troisième révolution industrielle et qui s'appuie sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l'Internet.

Or le théâtre de cette adaptation est l'entreprise, qui doit savoir s'informatiser et à s'automatiser efficacement, plus que la filière dont on ambitionnerait d'optimiser l'articulation.

Lorsque les entreprises diffèrent fortement par leur maturité envers le système technique, comme c'était le cas au début du XIXe siècle et comme c'est le cas aujourd'hui, il est en effet plus instructif de les examiner une par une que de considérer la filière où cohabitent des entreprises de maturité diverse : régler la focale du regard sur le processus, et non sur la filière, permettra de définir la politique industrielle qui favorise l'émergence d'une économie efficace dans le contexte du système technique informatisé.

1 commentaire:

  1. Je ne sais pas si mon commentaire est passé. Je le reformule:

    Merci pour cette distinction très utile.

    Une filière selon moi part de la source (amont) pour s'articuler vers l'aval, et cette vision correspond à un esprit français, ou allemand, ou japonais de planification. Un processus par de la demande (aval), et, soumis à une contrainte de traitement en temps réel, requiert un bon système d'information pour fonctionner.

    On peut percevoir les TIC comme une filière (à partir des semi conducteurs) ou comme des processus enchevetrés à partir des besoins quasi illimités en information et connaissance des agents. Suivant la perspective, on peut commettre de gros contresens.

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